L’enquête démarre en sous-bois, dans les zones ombragées et humides. Il suffit de vous y promener à la fin de l’hiver pour déjà l’apercevoir lorsque ses feuilles en forme de fer-de-flèche émergent des tubercules nourriciers restés enfouis dans le sol durant tout l’hiver. Belles feuilles luisantes d’un vert foncé
souvent maculées de taches noires, d’où son nom. Mais ce n’est qu’au printemps que vous aurez le plus de chance de le débusquer, car au milieu de sa touffe de feuilles apparaîtra bientôt une spathe, cornet vert pâle s’ouvrant autour d’un axe brun rouge, le spadice : c’est l’inflorescence caractéristique des membres de la famille des Arums.

Mais la spathe avec son spadice n’est pas une fleur; les fleurs proprement dites, minuscules, sont bien cachées au sein de la partie enflée située à la base de la spathe. Une couronne de fleurs femelles réduites à des carpelles dodus jaunes pâles, surmontée d’une couronne de fleurs mâles, réduites à leurs étamines rouges, sont elles-mêmes surmontées d’une couronne de fleurs stériles réduites à des poils orientés vers le bas.
C’est à la fin d’une journée de printemps que s’opèrent les kidnappings… Le spadice va tout d’abord voir sa température augmenter fortement, parfois jusqu’à 15° de plus que la température extérieure. Cette « bouffée de chaleur végétale » est commanditée par l’acide salicylique – une substance proche de l’aspirine (paradoxe de la nature…) – et va favoriser la libération par le spadice de substances volatiles telles que putrescine, cadavérine, spermine, spermidine, etc. Bref, de délicieux parfums… de pourriture ! Rebutants pour certains mais terriblement attractifs pour d’autres, comme pour certaines mouches nécrophages ou coprophages, qui pensent y trouver l’endroit idéal pour pondre et élever leurs larves. Le but pour notre Gouet : assurer sa descendance à l’insu de ces petits insectes.
Une petite mouche, par l’odeur alléchée, se posant sur la spathe enduite de substances lubrifiantes,
glissera innocemment sur le toboggan végétal qui l’amènera malgré elle dans le piège renflé où se logent fleurs mâles et fleurs femelles de l’Arum. En même temps, la couronne de fleurs stériles, tout poil recourbé et se gorgeant d’eau, fermera pour plusieurs heures ce piège à insectes.
Mais, pour le ravisseur, pas question d’autofécondation, qui ne serait pas idéale pour sa descendance.
Les fleurs mâles et femelles ne seront donc pas matures en même temps : les fleurs femelles arrivent d’abord à maturité et espèrent que notre pauvre mouche porte, accroché à ses poils, le précieux pollen nécessaire à leur fécondation et issu d’une autre fleur de Gouet visitée la veille. Après quelques heures, c’est au tour des fleurs mâles d’entrer en jeu : arrivés à maturité ils seront chargés de pollen.
La mouche toujours prisonnière, voletant sans relâche pour tenter de s’échapper du piège, se couvrira de
leur pollen. Enfin au petit matin, fleurs stériles et spathe flétriront, laissant
s’échapper notre petite mouche libre alors d’aller butiner et se faire piéger dans un autre Arum….

En été, les feuilles de Gouet disparaitront, laissant la place aux épis de fruit – baies de couleur rouge vif,
prévenant ainsi les herbivores de leur toxicité. Toutes les parties de la plante renferment en effet de l’oxalate de calcium sous forme de raphides, c’est-à-dire de fines aiguilles microscopiques
qui facilitent la pénétration de composés toxiques, qui peuvent occasionner des irritations aux muqueuses de ceux qui tenteraient d’en manger. Dans la nature, ces épis de fruits sont néanmoins consommés par les rongeurs et les cervidés ; au cœur de l’été, quand il fait chaud, merles et rougegorges les recherchent également comme source d’eau et propagent ainsi leurs graines rejetées dans leurs excréments.
À la fin de l’automne, toute trace de la plante aura disparue, du moins en apparence car, dans le sol, bien ancrés en profondeur, les tubercules du Gouet seront déjà prêts à faire renaître au printemps de
nouveaux kidnappeurs de mouches…
Magnifique exemple d’ingéniosités mis en place durant la coévolution du monde végétal et de ses insectes pollinisateurs !
Par Monique Hars